Kowü n’avait de cesse d’admirer le petit bout d’Elfe qu’était Kyneth. Sa fille, il le devinait, deviendrait aussi belle que Breizh. Et elle avait le regard si vif ! Elle semblait absorber chaque image qui l’entourait et en analyser la moindre composante. On eut dit qu’elle comprenait son environnement.
Pour l’instant, elle acceptait d’être dans les bras de son père ce qui, trouvait-il, était bien rare. Car dès que Breizh entrerait dans la pièce, Kyneth réclamerait l’étreinte de sa mère. Il avait trouvé cela vexant, car après tout il avait largement contribué à sa venue au monde, mais l’enfant s’obstinait à préférer sa mère. Breizh était changée depuis la naissance de Kyneth, comme plus épanouie, si la chose était possible, et elle ne cessait de sourire. En vérité, Kowü trouvait que sa femme était plus magnifique que jamais, et qu’elle s’en sortait bien dans son rôle parental. Il savait à quel point elle avait craint d’avoir un enfant, et chaque fois il lui avait dit qu’ils seraient deux et que la chose ne serait pas difficile puisqu’ils étaient ensembles.
Breizh s’était épanouie dans son rôle maternel, et se montrait infatigable, allaitant et s’occupant sans relâche de la petite, puisque celle-ci ne voulait que d’elle. Kowü, lui, avait ravalé ses certitudes. Le métier de père n’était pas aussi limpide qu’il avait voulu le croire. Les instants de tendresses avec sa femme étaient rares, et de courte durée car Kyneth avait de exigences ! Bien sur sa fille était magnifique, bien sur il aimait passer du temps près d’elle, la dorloter, la regarder dormir et écouter ses gazouillements. Mais il avait bien du mal à jongler entre son rôle familial et de Chaman.
Déjà trente jours qu’il était père. C’était enivrant de penser à cela. Enivrant au point qu’il négligeait certains aspects de sa vie. Et cela le rattrapa ce jour là…
Sa fille l’émerveillait. Ils se regardaient l’un l’autre, sans ciller, comme s’ils essayaient de lire dans les pensées de l’autre. Elle avait le regard si doux. En vérité, elle l’aimait, il le savait, et elle avait compris qu’il était quelque chose d’important pour elle. Il voyait son regard s’éclairer quand il rentrait dans une pièce. Et pourtant, lorsque Breizh était là, il devenait comme invisible.
Sa main se porta à son crâne, sans pour autant qu’il ne cesse son jeu de regard. Kyneth cessa de sourire. Il se redressa, les mains sur les tempes. Il avait terriblement mal à la tête. Et cela depuis nombre de journées déjà.
*Luwö ! Luwö ! Pour quelle faute me punis-tu ? Qu’ai-je fait pour mériter ton courroux ? Luwö, ne te suis-je pas fidèle ?*
Mais Luwö ne répondit pas, et la douleur lui vrilla la tête. C’était pire que tout ce qu’il avait vécu jusqu’à maintenant. Pourtant, il le devinait, les voix n’avaient rien à voir là dedans. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites et se fermèrent tandis que tout son corps se détendit.
Kyneth commença à pleurer, et sa voix portait tant et si bien que sa mère accourut dans la minute qui suivit. Elle trouva Kowü allongé au sol, évanouit, un filet de sang coulant par son nez.
Luminae n’était plus très loin à présent. La forêt des Ombres lui faisait face, tandis qu’étincelaient les eaux de la mer émeraude dans le lointain. Il était épuisé, portant son précieux fardeau sur son dos. Plusieurs fois il avait faillit tomber, et plusieurs fois il avait du se relever pour aller jusqu’au bout. C’était son devoir, pour Breizharwen, pour Kowü. Il lutait contre l’envie de se laisser aller à la froide étreinte de la mort, qui avait été une compagne de voyage à la fois fidèle et constante. Il avait combattu des bêtes sauvages, et parfois même des bandits, et ne devait la vie qu’à la clémence de Luwö.
Son corps était couvert d’ecchymoses. Plusieurs blessures saignaient encore, n’aillant jamais vraiment pu cicatriser. Depuis combien de jour veillait-il au juste ? Il n’en avait pas la moindre idée. Son faucon était parti avec une lettre pour sa bien aimée, pour qu’elle sache qu’il ne reviendrait pas et qu’il l’aimait plus que tout au monde. Il lui avait décrit ce qui l’avait conduit vers ce funeste destin, et il espérait qu’elle pourrait s’en remettre, un jour… Tout était calme, aucun son. Tant mieux, cela ne la réveillerait pas. Il entra en forêt, puis en Luminae, espérant trouver Lya avant que ses forces ne lui fassent défaut. Les Hommes Sauvages ne lui réclamèrent pas de visa, pensant d’abord à lui proposer des soins. Ses blessures étaient son laissez-passer en Luminae. On lui indiqua bien volontiers où il pouvait trouver Lya, mais on voulait à tout prix qu’il soit guéri avant. Quoi qu’il dise, quoi qu’il parvienne à articuler malgré ses souffrances, le Peuple Sauvage ne lâchait pas prise : il fallait qu’il soit guéri. Et ce fut finalement elle qui le trouva, interpelée par l’attroupement.
« Lya… »
« Elen ?.. »
« Kowü est… »
Il ne parvint pas à aller au bout de sa phrase, autant à cause de la tristesse que son épuisement présent. Le visage de Lya se ferma, et il comprit qu’elle avait deviné depuis longtemps que Kowü était au plus mal, mais qu’elle n’avait pas imaginé une seule seconde qu’il ait pu…
« Breizh ne l’a pas supporté… Elle a disparu… Peut-être est-elle… »
Sa voix s’étrangla dans un sanglot tandis que Lya l’étreignait pour le rassurer, comme jadis elle avait su le faire. Cependant, aussitôt que les mains de la Femme Sauvage entrèrent en contact avec le paquetage de l’Elfe, un pleur de bébé retentit. Elle recula, instinctivement.
« Prima-Luwä… Occupe toi de Kyneth… Telle est ta promesse… »
Elen trouva la force de lui confier l’enfant, puis il vacilla et s’effondra, fermant les yeux sur le monde. On l’éveilla quelques jours plus tard, et il fit ses adieux à Lya pour rejoindre sa bien aimée là où elle devait l’attendre.
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